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Témoignages

Eliane Albouy L'émouvante histoire du bébé abandonné

Un jour, je reçois une demande de recherche de la part de Mme Adriana Vincet Alvarez. Elle, Fernando son mari et sa tante Herminia Vincet, vont venir en Aveyron. Ils désirent visiter les lieux où vécurent Albert Léon Vincet avant d’émigrer, c’est-à-dire le grand-père d’Herminia et arrière-grand-père d’Adriana. De plus et surtout, ils souhaitent découvrir quelques informations sur André Vincet, le Papa d’Albert Léon, dont ils ne savent qu’une chose : il a été un bébé abandonné à Espalion.

Très facilement j’étoffe l’histoire d’Albert Léon Vincet né à Muret le Château le 23 mai 1867, émigré en Argentine, marié à Pigüé le 21 mars 1889 avec Jeanne Fabas née à Bidache, Pyrénées Atlantiques, en 1873. Du couple, naissent 10 enfants dont Enrique Alberto Vincet né à Pigüé le 5 décembre 1889, le papa d’Herminia et grand-père d’Adriana.

A Temperley, Enrique Alberto et ses parents ne parlaient qu’en français à la maison et un professeur qui avait apporté un coffre plein de livres français venait lui donner des cours pour s’exprimer correctement et étudier l’histoire de France. Ceci a beaucoup isolé Enrique Alberto dans son enfance des autres enfants qui, eux, parlaient espagnol. Aussi plus tard, il a voulu que ses propres enfants ne parlent qu’espagnol, la langue de leur pays d’adoption. Quant à lui, il parlait un espagnol très incorrect car appris avec les peones qui travaillaient là.

Puis pour moi commence alors la difficile recherche du papa d’Albert Léon, André Vincet, né à Espalion, bébé abandonné. Par chance, Adriana m’avait envoyé la photo de l’épouse d’André, Rose Layssac. Grâce à cela, je finis par trouver l’acte de mariage du couple à Rodez le 28 octobre 1858 et enfin l’acte de naissance d’André Vincet.

Là, la surprise est aussi grande qu’émouvante. Sa naissance est déclarée à Espalion par Dame Rose Louise Puech, Religieuse Supérieure Hospitalière. Il serait né le 20/03/1824, probablement le 20, car il a été déposé « au Tour » de l’Hospice. La Supérieure indique qu’aucun élément ne permet de l’identifier et qu’il est emmailloté dans du vieux linge.

De plus en plus captivée par cette histoire, je me mets à chercher des informations sur cette religieuse supérieure hospitalière. La congrégation à l’époque s’appelait Congrégation du « Saint Sacrement de Mâcon », aujourd’hui « Saint Sacrement d’Autun ».

Une recherche aux Archives Départementales me permet de situer exactement l’hospice, à savoir rue du Vieil Hospice, aujourd’hui rue Octave Portal, emplacement actuel du collège Public. Je décide de me faire aider par une amie d’Espalion, Janine Moisset. En arpentant la rue, Janine rencontre une amie de jeunesse, c’est la troisième fée ! Cette dame nous suggère d’aller voir M Michel Delmas qui a rédigé trois livres sur l’histoire de l’Hospice. Ce monsieur fort aimable nous donne des détails intéressants.

Fondé par Saint Louis, il était initialement situé à l’arrière de l’ancienne église Saint Jean puis plus tard près du pont puis rue Octave Portal, ancienne rue du Vieil Hospice ; on l’appelait « L’Hospice du bord du Lot ».

Les inondations du Lot, fréquentes et importantes au point parfois de voir monter les eaux jusqu’au premier étage de l’édifice et de déboulonner la porte du rez-de-chaussée, ont eu raison des lieux. La municipalité qui avait acquis le bâtiment décide sa démolition. Fort heureusement pour l’histoire locale, une religieuse a pris deux photos avant la destruction vers 1962.

Les sœurs accueillaient des indigents, des malades, des blessés, des enfants-trouvés et donnaient à manger aux prisonniers à une certaine époque...

A Espalion, les bébés n’étaient pas déposés sur « un tour » comme on faisait souvent autrefois mais à l’intérieur du couvent par une trappe qui se trouvait au niveau de la rue. Les malheureuses qui abandonnaient là leur bébé laissaient parfois un indice, comme par exemple au bracelet de laine de couleur au poignet. Grâce à cette modeste indication, avaient-elles espoir ainsi de le récupérer si leur vie s’améliorait ? Les religieuses recueillaient un nombre très très important d’enfants. Des Dames bienfaitrices d’Espalion venaient coudre du linge à l’Hospice pour habiller les nourrissons.

M Michel Delmas nous donne la liste des nourrices qui prenaient en charge les enfants, liste établie par Dame Rose Louise Puech, Religieuse Supérieuse Hospitalière. Cette trouvaille miraculeuse nous permet de savoir qu’André a été élevé en nourrice chez Jean Pierre Mailhabuau (Maillebuau) au lieu-dit « Ferrières », Espeyrac, aujourd’hui peut-être Golinhac. 

 

Ensuite, André Vincet devient cordonnier à Cadeyrac, Salles-la-Source puis s’installe définitivement à Muret-le-Château au lieu-dit Carles vers 1863. Le couple a eu huit enfants, deux meurent en bas-âge, trois émigrent en Argentine et trois restent en France où hélas la descendance s’éteint. André décède à Muret-le-Château le 1 décembre 1873 laissant sa femme Rose seule avec ces six garçons exploitant courageusement sa petite propriété de 15 ha. Elle meurt le 6 novembre 1909. Tous les deux enterrés au cimetière de Muret le Château (tombe aujourd’hui disparue).

 

Adriana, Fernando et Herminia séjournent en Aveyron les 1 et 2 avril 2017. La première visite est à Espalion en compagnie de Janine Moisset et moi-même. Très émouvante promenade. Chez M Michel Delmas, un événement surréaliste se produit : Herminia (née en 1925) qui comprend assez bien le français mais le parle peu, nous dit connaître « La Marseillaise ». A notre grande surprise, elle se met à déclamer les paroles de notre hymne national dans un français impeccable. Ce moment, croyez-moi fut particulièrement attendrissant et inattendu.

Ensuite, nous allons à Muret-le-Château, au lieu-dit Carles, voir ce qui reste de la maison et des alentours puis nous visitons ce très pittoresque village qui mérite le détour.

 

A leur retour en Argentine, tous les trois organisent une fête à Santa Rosa, dans la Pampa, en novembre 2018 avec tous les descendants Vincet. Chacun est venu avec son extrait généalogique afin de le compléter avec l’arbre que j’avais constitué. Adriana et Herminia n’ont pas tari d’anecdotes à leur raconter.

 

De cette rencontre merveilleuse est née une amitié car nous continuons à communiquer très souvent avec Adriana.

 

Merci à Janine Moisset car sans elle et son amie rencontrée par hasard dans la rue jamais je n’aurais pu enrichir ma recherche à Espalion.

Je tiens à remercier chaleureusement M Michel Delmas pour son accueil et pour les renseignements donnés. Son livre en 3 tomes est une mine d’informations (en vente à Espalion en librairie).


Eliane Albouy