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Témoignages

Un français en Argentine 1891

Un français en Argentine 1891

Voici un intéressant témoignage de la vision d’un Français de très grand niveau d’instruction sur l’Argentine en 1891.

Il s’agit de Léon Roumieux de Nîmes, qui, très peu de temps après cette conférence, repart en Argentine à San Vicente puis ensuite à Pigüé où il sera professeur de français mais surtout d’espagnol, les Aveyronnais ayant compris l’urgence d’apprendre la langue espagnole. Sa femme est espagnole et on peut noter qu’une de ses filles naît à Pigüé en 1902.

Cette causerie a eu lieu le mercredi 29 avril 1891 à la Société de Géographie de Montpellier.

Bibliothèque Nationale de France. Bulletin.
Société languedocienne de géographie, Montpellier 1891.

"M. Roumieux, un de nos compatriotes, fait ensuite une causerie aussi agréable qu'instructive sur la République Argentine, qu'il connaît par un séjour de plusieurs années. Le Président le remercie, au nom de l'assemblée, de cette intéressante communication, qui sera insérée dans le prochain Bulletin."

Le Secrétaire général L. Malavialle. Présidence de M. Duponchel, Président.
Séance du mercredi 29 avril 1891.

Causerie sur la République Argentine

Par M Léon ROUMIEUX

"Messieurs

J'étais loin de m'attendre à l'honneur de prendre la parole au sein de votre docte Société, quand M. Antonin Glaize, l'ami de mon père, partant, le mien, et bien sûr le vôtre, à la suite d'un entretien familier touchant la République Argentine, où j'habite, d'où j'arrive, et où j'espère retourner bientôt me dit que certains détails que je lui avais fournis sur cette contrée lointaine auraient quelque chance de vous intéresser.

De là, l'idée, je ne dirai pas de la Conférence, mais de la Causerie que je vais vous soumettre et pour laquelle, sans autre préambule, je sollicite toute votre indulgence.

La République Argentine, vous le savez, du reste, Messieurs, a une superficie de plus de 160 000 lieues carrées; elle se compose des territoires compris entre 52 et 22° de latitude australe et 59 et 72° de longitude occidentale, en comptant la Patagonie et l'archipel des Malouines.

C'est, par conséquent, une étendue six fois plus considérable que celle de la France, et presque égale à celle de la Russie d'Europe. Elle se compose de 14 États appelés provinces, unis en confédération, et de 4 grands territoires.

La population totale des provinces est, d'après le dernier recensement opéré en 1890, de 3 735 600 habitants.

Il faut ajouter à ce chiffre celui de la population indienne répandue dans les territoires et qui s'élève à environ 65 000. Cette population est très mêlée, le pays ayant été occupée, au temps de la conquête, par de nombreuses tribus assez différentes l'une de l'autre, qui se sont croisées avec les Espagnols et leurs descendants. Il faut tenir compte aussi de l'immigration européenne que l'on constate depuis 30 ans et qui augmente de jour en jour.

C'est en parcourant les provinces de l'intérieur que l'on peut se faire une juste idée du véritable caractère national. On y trouve une hospitalité qui vaut bien celle des montagnards écossais que nous connaissons tous, au moins par le chef-d'œuvre de Boieldieu de plus, la générosité, la sobriété, la bravoure et l'amour de la patrie. Sous ce rapport, les Argentins n'ont rien à envier aux autres peuples.

Les femmes occupent généralement dans la société comme chez nous, avouons-le galamment, une place distinguée, et leur influence se fait sentir dans tous les actes de la vie publique. Aimables et douées par la nature de tous les charmes du type méridional, elles sont d'excellentes mères; je dois même dire que l'amour maternel les conduit à traiter leurs enfants avec une excessive intimité.

La période qui sépare l'enfant de l'adulte est très courte aussi arrive-t-il qu'un jeune homme s'occupe des affaires de l'Etat et qu'une jeune fille brille déjà dans les salons à l'âge où les Européens sont encore assis sur les bancs de l'école.

Aussi, l'instruction n'est-elle jamais bien complète, et il résulte de cet état de choses que la plupart des personnes à qui l'on confie la direction des affaires, malgré tout leur bon vouloir, laissent bien souvent percer leur manque d'aptitude.

Le peuple a des sentiments élevés qui commandent l'estime, et, s'il possède quelques défauts – quel peuple en est exempt ? -on doit songer que cette nation, étant encore fort jeune, n’a sans doute pas eu le temps de s'en corriger. Mais la haute intelligence des Argentins, leurs dispositions pour ce qui touche à la civilisation et le zèle assidu qu'ils déploient pour regagner ce que des circonstances défavorables leur ont fait perdre, la mettront, un jour prochain, au niveau des nations les plus civilisées.

L'Argentin est bienveillant et affable envers les étrangers et surtout envers les Français, auxquels toutes les carrières sont ouvertes, à la condition toutefois qu'ils connaissent à fond l'espagnol, la langue officielle du pays.

J'ai connu personnellement des ingénieurs et des architectes qui, malgré tout leur talent, n'ont pu se créer une position tant qu'ils n'ont pu parler correctement la langue usuelle. Cet inconvénient n'existe pas pour les ouvriers, qui se tirent toujours d'affaire par la facilité qu'ils ont de montrer, avec leurs outils, qu'ils connaissent leur métier.

Quoique la langue soit l'espagnol, dans quelques provinces on parle encore le langage des habitants primitifs, tel que le guarani; mais les vieux dialectes subissent le sort commun à tous les idiomes réduits à l'état de patois et tendent à disparaître.

L'Argentin a de grandes facilités pour apprendre les langues vivantes le français et l'anglais font partie du programme des études dans les écoles primaires et secondaires, ces deux langues sont assez répandues dans le pays.

La densité de la population et le paysage qui l'entoure ont certes une influence décisive sur le caractère des habitants. Ainsi, tandis que dans les capitales chacun profite des avantages d'une civilisation avancée et se livre joyeusement aux amusements qu'elle fournit, l'habitant de la campagne, en face de la Pampa sans limites, a des allures plus sérieuses et une sorte de lenteur dans les mouvements, il s'exprime aussi en faisant trainer mollement la voix, à tel point qu'il a l'air de chanter en parlant.

Dans les villes on entend, à chaque instant du jour et même de la nuit, les joyeux accords de la musique; à la campagne, au contraire, on s'assemble autour du rustique chanteur qui accompagne ses improvisations rythmées, soit au son de la guitare, soit en faisant claquer ses mains l'une dans l'autre.

La plupart des habitants des provinces du littoral, sauf celle de Corrientes, sont d'origine européenne.

L'élément indien domine au contraire dans les provinces de l'intérieur, principalement dans celles de Catamarca et de Santiago del Estero. Un quart de la population habite les villes et les villages le reste est disséminé dans les provinces et se compose en majorité de Gauchos.

On donne ce nom de Guacho aux pâtres-cavaliers qui gardent les troupeaux de chevaux et de bœufs dans les vastes plaines de l'intérieur. Les Gauchos ont joué un grand rôle dans la guerre de l'indépendance.

Cette partie de la population est, plus que toutes les autres, l'objet de l'attention des voyageurs.

J'ai pu me rendre compte moi-même que le Gaucho est un type plein d'originalité quelques-uns d'entre vous, Messieurs, ont assurément pu en juger d'après les quelques habitants des Pampas, qu'avait attirés à Paris l'Exposition Universelle. Le théâtre des exploits de ces hardis cavaliers est un vaste territoire de près de

500 000 kilomètres carrés, s'étendant à perte de vue de la frontière ouest de Buenos-Ayres jusqu'aux Andes, et portant le nom de Pampas, qui est celui d'une plante, le Gynerium argenteum ou pampa, dont il était couvert avant la métamorphose que lui a fait subir la civilisation moderne.

On y voit errer en liberté les grands troupeaux de bœufs et de chevaux, dont l'élevage constitue la plus grande partie de la richesse du pays et exerce l'excessive souplesse et la grande habileté du Gaucho. Sa haute stature, sa face anguleuse, son teint bronzé, sa longue chevelure noire, attestent le mélange de sang indien et de sang espagnol qui coule dans ses veines. Revêtu du poncho, sorte de tunique sans manches, coiffé, comme nos gardiens de Camargue, d'un chapeau de feutre mou à grandes ailes, orné d'un foulard en soie de couleur vive, il porte au flanc droit de son cheval le lasso de cuir qu'il lance avec une merveilleuse dextérité sur l'animal qu'il poursuit au triple galop. Perdus constamment au milieu des grandes étendues du territoire, les Gauchos n'ont pas d'autre distraction que le jeu. Ils jouent entre eux de fortes sommes aux osselets, jeu rigoureusement interdit par la loi argentine.

La plus grande partie du travail dans les Pampas consiste à réunir sur un point donné de la plaine des milliers d'animaux, puis à empêcher cette masse, une fois groupée, de se débander ou de fuir. Les cavaliers en font sans cesse le tour et la maintiennent dans les Rodéos, emplacements entourés de barrières.

En dehors des heures du travail, le Gaucho vit en famille dans une pauvre masure (rancho) faite de bois, de chaume et de limon, occupé sous son toit enfumé à humer une sorte de thé ou infusion d'une herbe du Paraguay que l'on désigne sous le nom de Yerba maté ; on sert ordinairement ce maté dans une petite courge en forme de pipe, et on l'aspire au travers d'une bombilla ou tube de métal, terminé par une sorte de petite passoire.

L'usage du maté est fort répandu dans la République Argentine c'est une production des plus intéressantes du bassin de la Plata, et les économistes du pays fondent sur sa culture les plus grandes espérances.

Ils évaluent, en effet, la consommation de la Yerba maté à 13 000 000 de kilogrammes par an, dont 10 000 000 au Paraguay.

Le gouvernement engage fortement les Argentins à s'affranchir du tribut payé au Paraguay pour un produit que fournissent en abondance quelques parties du territoire, et en particulier la province des Missions, dont la fertilité est merveilleuse.

L'arbuste dont on tire la Yerba maté y croît, en effet, spontanément, couvre de grandes étendues de terrain et donne lieu à une exploitation assez importante.

On pourrait la cultiver ailleurs, même en France, sans la moindre peine. La Yerba maté de l'avis des docteurs, serait plus salutaire que le café, le cacao, et même que le thé elle pourrait devenir pour la République Argentine une source de richesses, aussi grande que le thé l'est pour la Chine.

En attendant, l'élevage et la salaison des innombrables bêtes à cornes, que possèdent dans leurs estancias les éleveurs qui habitent les pampas, constituent une grande partie des revenus du pays.

On a de la peine à croire-en voyant les nombreux troupeaux et les chevaux qui vivent dans les provinces que, lorsque Christophe Colomb découvrit l'Amérique, ni chevaux, ni bêtes à cornes n'y étaient encore connus.

En effet, il y a trois siècles et demi tout au plus, c'est-à-dire quarante ans après leur arrivée sur les steppes de la Plata, que les Espagnols, songeant à utiliser ces immenses déserts, y conduisirent huit vaches et un taureau, et c’est à ce petit troupeau, dit M Washington Irving dans son ouvrage intitulé « Vie et Voyages de Christophe Colomb », qu'on doit les millions de vaches et de bœufs qui couvrent actuellement la Pampa. L'élevage de tous ces bestiaux est aujourd'hui une industrie colossale, elle a nécessité et nécessite encore l'établissement de nombreux saladeros dont le but, comme l'indique leur nom, est de conserver la viande dans le sel et la saumure, tout en traitant séparément le cuir et en utilisant les débris de l'animal.

M. Jean Clarac, un de mes bons amis, habitant San Vicente, a fait, dans quelques années, une fortune très importante en s'occupant de la salaison.

Qui d'entre vous, Messieurs, n'a pas entendu parler de l'usine établie sur les bords de l'Uruguay par une société dont le baron Liebig est le fondateur; cette société, à part la salaison, a pour objet la fabrication de son fameux extrait de viande, dont il se fait aujourd'hui partout une si grande consommation.

J'ai eu l'occasion de visiter, en février 1889, l'établissement dont il s'agit, et je vous avoue que la petite ville de Fray-Bentos, qui est redevable de son importance à la Compagnie Liebig, mérite d'être connue. Sa population se forme de plus de 1 200 familles, dont plus d'un millier d'hommes sont employés journellement aux travaux des usines Liebig. Si je m'étendais davantage sur ce sujet, j'aurais l'air de faire une réclame, ce dont je me défends; je dois cependant vous dire encore, en payant, pour vous donner une idée de l'importance de ces usines, que votre compatriote M. Faulquier, d'après ce qu'il m’a affirmé lui-même, à lui seul fait venir de Fray-Bento de 3 à 4 millions de kilos de suif pour la fabrication de ses bougies. Jugez par-là de ce que doit être le chiffre total de l'abatage depuis 1863, date de la fondation « Liebig ».

Les colonies agricoles, qui, fondées par les Européens, ont pris un développement considérable, ont ajouté à ces diverses industries la culture des céréales, devenues un immense objet d'exportation.

Ainsi que je vous l'ai dit, l’immigration est très considérable, et, bien que le contrôle offre de grandes difficultés, on l'évalue, d'après les documents officiels, au tiers de la population totale, soit à environ

1 200 000 étrangers.

Los Italiens, les Espagnols, les Français et les Anglais forment à eux seuls la presque totalité des émigrants d'Europe.

Les Italiens, qui pullulent dans le pays, se livrent en général, comme partout ailleurs, à des travaux pénibles tels que terrassements, exploitation des mines, pavage des rues, quand ils ne sont pas armés d'un instrument quelconque, occupés du matin au soir à nous assourdir par les harmonieux concerts que tout le monde connaît.

Parmi eux, cependant, on compte des industriels qui se livrent à la fabrication des pâtes d'Italie et instruments de musique.

Les Espagnols cultivent le tabac, le coton, la canne à sucre, font le commerce des vins et fabriquent des tissus.

Les Français ont pour eux l'industrie et le commerce un grand nombre d'entre eux dirigent des collèges et institutions privés, ou sont professeurs dans les écoles du gouvernement. L'Argentin les considère comme les colons les plus intelligents.

Les Anglais s'occupent, comme dans l'Amérique du Nord, de la construction des voies ferrées, ponts et ports ils sont assez estimés dans la République Argentine. Et ce, peut-être bien, parce que tous les emprunts de l'Etat ont été souscrits à Londres et qu'indépendamment l'Angleterre a fourni des millions de livres sterling pour des entreprises industrielles et commerciales. Aussi ne faut-il pas s'étonner que la Grande-Bretagne ait été la nation la plus éprouvée dans la crise actuelle, crise qui, heureusement, d'après les dernières nouvelles, touche à sa fin.

Néanmoins, je dois convenir que les immigrants sont loin de recevoir aujourd'hui l'accueil qui leur était réservé sous la Présidence du général Mitre et notamment sous celle du docteur Avellanda, lequel disait, « Le créateur moderne du capital, c'est l'immigrant. Heureux le peuple qui peut l'attirer à lui ! ».

De ce temps-là les immigrants étaient sûrs de trouver à leur arrivée dans la République Argentine la protection qu'on leur avait promise avant leur départ, mais actuellement les choses ont bien changé le triste gouvernement présidé par Juarez Celman, l'homme égoïste et sans cœur, qui ne cherchait qu'à s'enrichir au détriment de la nation, avait fait de l'immigration une véritable spéculation commerciale.

Heureusement, la Révolution du 26 juillet dernier débarrassa le peuple argentin de ce chef indigne à tous les points de vue.

Voulez-vous savoir comment les immigrants étaient traités sous la présidence du célèbre Celman ?

Dès leur arrivée à Buenos-Ayres. on les logeait dans un édifice appelé, par ironie sans doute, «Hôtel des Immigrants»; le mot baraque aurait été mieux appliqué. Là, le pauvre voyageur, harassé, brisé par une longue et pénible traversée, n'avait pour se restaurer qu'une nourriture mauvaise et insuffisante pour se reposer, un lit de camp dur et nu, sans paillasse et sans couverture.

Espérons que son successeur M Pelligrini (fils de Français) saura améliorer de plus en plus (car il a déjà fait ses preuves) la situation des immigrants en créant de nouveaux établissements où l'on retrouvera tous les avantages des anciens jours, et il est certain que parla le gouvernement saura rendre le bienêtre et la tranquillité au pays (entre nous soit dit), si rudement éprouvé depuis trop longtemps déjà.

L'immigration a pris, malgré tout, une grande extension et a aujourd'hui pour théâtre la République entière elle s'est répandue, en effet, jusqu'aux frontières les plus reculées.

La province de Santa-Fé est la plus avancée de toutes au point de vue de l'agriculture; elle renferme plus de 40 colonies, dont la plus ancienne, « Esperanza », aux environs de la capitale, a à peine trente ans d'existence. On se fera une idée de l'importance de ces colonies, en apprenant que, l'année dernière, la récolte du froment dans cette province a été estimée 60 000 000 de francs.

Malgré l'abondance des éléments indispensables au succès de l'industrie rurale, les progrès de l'agriculture n'ont commencé à prendre un essor considérable que depuis une vingtaine d'années, c'est-à-dire depuis la création au ministère d'un département de l'agriculture. La salutaire influence d'une administration agricole sur tout le pays ne tarda pas à se faire sentir.

L'importance de la place de Buenos-Ayres et de l'État Argentin est tout entière dans la position qu'occupent la capitale et la contrée à l'embouchure et sur les rives du Paranà et de l'Uruguay, fleuves majestueux qui, à leur confluent, forment le Rio de la Plata, la véritable porte d'entrée de l'Amérique du Sud.

Les affluents de ces fleuves sont eux-mêmes des cours d'eau de premier ordre. Le Paranà reçoit les eaux du Paraguay, grossi lui-même de celles du Rio Vermejo et du Rio Pilcomayo. Tous les cours d'eau tributaires de ces fleuves ont leurs sources dans l'imposante chaîne des Andes ils arrosent les immenses plaines qu'ils traversent et vont ensuite accroître le volume des grands fleuves qui transportent jusqu'aux ports de la côte les abondants produits des terres qui leur doivent toute leur fertilité et toute leur richesse.

Ce sont là les grandes routes que le haut Pérou, le Chili, la Bolivie, seront obligés de choisir pour transporter leurs marchandises et leurs minerais à l'embouchure de la Plata les vastes entrepôts de Buenos-Ayres et de Montevideo seraient ainsi les intermédiaires naturels entre l'Amérique du Sud et l'Europe.

Indépendamment des grands fleuves qui sillonnent son territoire, le Gouvernement Argentin cherche à améliorer les voies de communication par terre entre les côtes de l’Atlantique et celles du Pacifique.

Le réseau des voies ferrées de la République Argentine, dont une grande partie est déjà depuis longtemps livrée à la circulation, doit être complété par la création d'une grande ligne transcontinentale qui reliera directement Buenos-Aires et Valparaiso et dont la longueur totale sera d'environ 1 500 kilomètres.

Des traités ont été signés depuis longtemps avec les compagnies concessionnaires qui comptent pouvoir dans deux ou trois ans livrer cette nouvelle et importante voie au commerce international.

Quelques-unes des lignes déjà terminées relient à Buenos Ayres les chefs-lieux de quelques provinces de la République, et celles qui doivent être achevées sous peu y rattacheront les autres chefs-lieux.

Toutes ces lignes ouvriront aux produits argentins les ports de l'Atlantique et ceux de l'Europe et y porteront les produits des autres contrées, le Chili, le Pérou et la Bolivie.

La fertilité du sol Argentin, entretenue par les nombreux cours d'eau qui l'arrosent, est remarquable surtout dans la plaine qui s'étend entre le Rio-Paranà, la Bolivie et le Rio-Paraguay et que l'on nomme le «Gran-Chaco », dont la superficie, d'après M. Benigno Martinez. membre de la Société géographique de Buenos-Ayres, est de 30 000 lieues carrées.

Des colonies agricoles sont établies, ainsi que je vous l'ai déjà dit, dans la Pampa, jusqu'ici considérée comme impropre à l'agriculture, et elles ont donné d'excellents résultats. Parmi les articles d'exportation, figurent le tabac, l'huile de lin; la culture de la vigne, du coton, de la canne à sucre atteindra un développement considérable au fur et à mesure de l'augmentation de la population agricole, ainsi que l'élève du ver à soie et l'exploitation des matières tinctoriales.

Les immenses forêts de la République fournissent également des bois précieux à l'exportation. Plusieurs provinces ont obtenu pour les produits de cette nature des récompenses à la dernière Exposition Universelle de Paris.

Enfin, l'exploitation des mines est destinée à prendre une importance considérable, par suite de l'extension des voies ferrées dans les régions Andines, jusqu'ici presque isolées et privées de communication avec les grands centres industriels.

Instruction

Après les grands États dans lesquels l'instruction est organisée depuis plusieurs siècles et qui sont pourvus d'établissements possédant de puissantes ressources, il est intéressant d'étudier comment, dans des contrées agitées par de longues dissensions civiles, une population peu considérable, mais forte par les libres institutions qu'elle s'est données, est parvenue à créer des écoles de tous les degrés, en proclamant hautement que l'instruction populaire est l'élément essentiel de toute civilisation et de tout progrès.

A ce point de vue, la République Argentine mérite d'être connue. On ne peut voir en effet, sans un vif sentiment d'admiration, ce jeune peuple déployer tant de zèle et d'intelligence pour se mettre, sous le rapport de l'instruction, au niveau des pays les plus avancés.

L'éducation publique comprend, dans sa plus grande étendue, l'enseignement élémentaire qui est nécessaire à tous, puisqu'il est l'initiation à la vie intellectuelle et morale. La République Argentine a compris que laisser une partie du peuple dans l'ignorance serait manquer au principe fondamental d'un gouvernement républicain, dont le devoir est de constituer l'unité nationale, d'assurer la justice, la paix intérieure et les bienfaits de la liberté, non pas seulement aux citoyens, mais encore à leurs descendants et à tous les hommes du monde qui pourront s'établir sur le sol argentin.

La province de Buenos-Ayres, sur laquelle finiront par se régler les autres provinces, a décrété l'instruction gratuite et obligatoire. Les parents ou les tuteurs ne peuvent se dispenser de faire donner aux enfants le minimum d'instruction fixé par les programmes. L'obligation de fréquenter les écoles est imposée à partir de l'âge de 6 ans, pendant sept ans pour les garçons et cinq ans pour les filles. Les uns et les autres doivent y rester un an de plus, si, après ce terme, ils ne savent pas encore lire et écrire assez correctement.

Ils peuvent recevoir cette instruction chez leurs parents ou leurs tuteurs, aussi bien que dans les écoles publiques. Les parents ou tuteurs qui ne remplissent pas le devoir que la loi leur impose sont passibles d'une amende de 25 francs au moins et de 250 francs au plus.

Je dois avouer, en passant, que malgré tous les sacrifices que s'impose ce pays pour l'enseignement scolaire, malgré les nombreux et superbes établissements qu'il a fait construire, il ne peut voir ses efforts récompensés, car les instituteurs et les institutrices capables sont en trop petit nombre dans la République Argentine.

Le gouvernement doit donc se contenter d'employer dans les écoles primaires des personnes ne possédant aucun titre et qui n'ont pas la capacité voulue pour remplir le rôle d'instituteur. Aussi, bien que l'instruction nationale soit gratuite, beaucoup de parents préfèrent envoyer leurs enfants dans les collèges privés, français ou espagnols, certains de leur donner une instruction solide et une excellente éducation.

Armée et Marine

L'histoire prouve que, depuis son existence, c'est-à-dire dans le courant de ce siècle, la jeune République a acquis, sous le rapport militaire, de nombreux titres de gloire.

Le peuple argentin ne saurait oublier les noms de Suipacha, Tucuman, Salta Chacabuco, Maipu, théâtres des victoires qui ont assuré son indépendance. Ceux qui ont pu prendre connaissance des luttes terribles qu'il a eu à soutenir contre les Espagnols ont, parmi les épisodes qui les ont signalées, conservé certainement le souvenir du passage des Cordillères, de cette chaîne gigantesque qui divise l'Amérique du Sud et qui fut traversée par le général San Martin à la tête de 3 à 4, 000 patriotes.

Ni les sommets couverts de neige, ni les difficultés incroyables de la route n'avaient pu l'arrêter, et, après avoir franchi des crêtes réputées inaccessibles, il tomba sur les Espagnols, mieux armés et plus nombreux que les Argentins. La brillante victoire de Chacabuco lui ouvrit les portes de Santiago de Chili vingt-quatre jours avaient suffi pour terminer cette glorieuse expédition.

Les luttes nationales, les guerres intestines et les nombreux combats contre les Indiens ont donné à l'Argentin l'habitude de la guerre et formé des soldats endurcis, dès leur jeunesse, aux fatigues, aux privations, aux périls de toute espèce.

L'organisation de l'armée a donné lieu à de nombreux règlements. Elle se divise en garde nationale et en troupe de ligne.

La loi du pays veut que tout Argentin âgé de 18 ans fasse partie de la garde nationale jusqu'à 50 ans.

Cette troupe, lorsqu'elle est mobilisée, doit faire un service égal à celui de la troupe de ligne.

La marine est composée de matelots enrôlés et d'une milice.

Le Ministre de a Guerre et Marine » est la première autorité militaire il commande à l'armée et à la flotte.

L'armée de terre se compose de 14 à 15, 000 hommes.

Il existe une cavalerie irrégulière composée seulement d'Indiens soumis à la discipline militaire et faisant le service des sections de frontières.

La garde nationale comprend tous les hommes en état de porter les armes de 18 à 50 ans.

La réserve est formée par les hommes valides de 50 à 60 ans. Le pays fournit pour la garde nationale active environ 450 000 hommes et pour la réserve de 80 à 90 000.

La force militaire de ce pays consiste, comme on le voit, dans l'ensemble des citoyens en état de porter les armes.

La marine de guerre n'a pas fait de grands progrès depuis le gouvernement présidé par le général Roca et se compose seulement d'une trentaine de bâtiments.

Le recrutement de l'armée permanente se fait généralement par voie d'enrôlement; les hommes sont engagés moyennant une certaine somme pour quatre ans au moins.

Ils reçoivent une partie de la prime d'engagement en signant le contrat, une autre partie pendant la durée du service et l'autre après son expiration.

Il n'en était pas ainsi du temps de l'ex-président Juarez, puisqu'un grand nombre de soldats et, en totalité, les officiers, n'ont pas touché de solde pendant près de deux ans. Espérons que son successeur aura porté remède à cet état de choses.

Je terminerai en disant que les étrangers, sans distinction de nationalité, sont admis dans l'armée.

Je crois avoir touché, Messieurs, au risque d'abuser de votre patience, à toutes les questions qui pouvaient présenter quelque intérêt à un auditoire aussi bienveillant.

Je n'ai pourtant rien dit de la politique, au point de vue français, bien entendu. Là-bas, le cœur et les yeux constamment tournés vers la patrie, nous sommes tous Français et rien que Français, Aussi, vous faudrait-il voir, Messieurs, si la concentration a de la peine à s'établir parmi nous.

Le jour où la France célèbre sa fête nationale, nous nous réunissons tous pour joindre aux vôtres nos vivats et nos réjouissances, et le mot d'adieu, quand, la journée finie, nous nous séparons, est toujours le cri unanime de « VIVE LA FRANCE »."