Elle est adressée à la Señorita Elena Vigouroux, Estación Pigüé, de la part de son amie Maria Richard. Elle est datée du 20 juin 1904, soit 20 ans après l’arrivée des premiers émigrants aveyronnais. Elena avait 16 ans.
On peut penser que les deux jeunes filles avaient fréquenté ensemble l’institution Niño Jesus, à Pigüé. Bien que la langue officielle soit l’espagnol, Maria envoie à son amie un poème joliment calligraphié et écrit en français. Elena, née en Argentine, avait eu l’occasion de retourner en Aveyron à plusieurs reprises.
La carte représente une des premières habitations très rudimentaires, construites par les colons dès leur arrivée en 1884. Les murs étaient en adobe, briques de boue séchée. On mettait de la boue mélangée à de la paille dans un moule en bois et on laissait sécher au soleil. Plus tard, les Piguenses utilisèrent des fours à briques. Ceux qui étaient près de la sierra, construisirent des maisons en pierre. Quelques maisons étaient en bois mais ce matériau était rare. Les toitures étaient de chaume ou de tôle ondulée. Certains colons durent se contenter provisoirement de trous dans le sol, recouverts de tôle ondulée. L’intérieur des maisons consistait en une pièce unique, sans aucun confort. Pour se chauffer et pour cuisiner, on utilisait des bouses de vache séchées. Les familles étaient nombreuses, au fur et à mesure, on ajouta de nouvelles pièces à la maison.
L’eau manquait, il fallait aller la chercher au ruisseau de Pigüé dans un tonneau attaché à la selle d’un cheval. Très vite, les colons creusèrent des puits.
Les estancias étant très étendues (200 hectares au minimum) et les habitations étant éloignées les unes des autres, tous prirent très tôt, l’habitude de se déplacer à cheval comme le font les visiteurs sur la carte. Une des conséquences de cet éloignement explique que très souvent, les pères venaient déclarer les naissances avec beaucoup de retard et il est arrivé que deux enfants, nés à deux ans de différence soient déclarés le même jour comme s’ils étaient jumeaux .Certains pouvaient donc fêter deux fois leur anniversaire et on raconte que les dames choisissaient la date la plus récente… pour se rajeunir.
Un autre aspect de l’intégration des Aveyronnais est l’habitude vite prise de consommer le mate, infusion typiquement argentine comme le fait un des personnages visible sur la carte.
Les visiteurs et leurs hôtes ont revêtu « l’habit du dimanche ». A l’angle de la maison, en costume de gaucho, se tient un homme du pays ou criollo.
Cette carte nous donne un aperçu des conditions de vie des premiers émigrants aveyronnais, fondateurs de la ville de Pigüé en Argentine.
Nadine Costes, à partir de ses archives familiales et des indications de Ricardo Fernando Chavez